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  • La lutte sans fin de villageois polonais contre un géant du gaz de schiste

    Publié le 12 Juin 2013  


    "Nous ne voulons pas de gaz", banderole près du campement
     des habitants. Juin 2013 (Photo Marin Latanik. Revoltcinema)


    Récit Il y a un an, ils avaient cru obtenir victoire contre l'Américain Chevron. Depuis une semaine, ils se battent à nouveau nuit et jour pour sauver leurs villages.

    Par CORALIE SCHAUB 

    Décidément, la guerre du gaz de schiste est digne des meilleurs films à suspense. Et les victoires citoyennes semblent bien fragiles face au rouleau-compresseur de l’industrie. Cette semaine, un joli télescopage spatiotemporel de l’actualité en a magistralement donné la preuve, en France comme en Pologne.

    Chez nous, la loi du 13 juillet 2011 interdisant le recours à la fracturation hydraulique pour extraire les hydrocarbures coincés dans la roche (qui interdit de facto toute exploration et exploitation, puisque c’est la seule disponible), a subi mercredi les oassauts de la patronne du Medef Laurence Parisot. Puis, jeudi, ceux d’un rapport parlementaire ouvertement pro-gaz de schiste. Bref, les lobbys sont plus déterminés que jamais à entrer par la fenêtre alors qu’on leur a fermé la porte après des mois de mobilisation des populations locales. Et peu importe si les gaz et pétrole de schiste polluent le sol et l’eau, si leur impact sur le climat est calamiteux ou si leur intérêt économique commence lui-même à être contesté.

    Malédiction du gaz de schiste 


    Hasard du calendrier, au même moment, dans la campagne polonaise, à quelques roues de tracteur de la frontière ukrainienne, l’industrie des gaz de schiste est aussi à l’offensive. Là même où des villageois, que l’eurodéputé Vert José Bové avait rencontrés il y a pile deux ans, avaient cru avoir remporté une bataille contre le géant américain Chevron. Et ce au bout d’une année de lutte acharnée, filmée par le réalisateur britannique d’origine polonaise Lech Kowalski, qui avait fait l’objet d’un documentaire diffusé sur Arte le 28 janvier dernier, La malédiction du gaz de schiste. «Je vous ai compris, je renonce à forer sur vos terres», avait dit Chevron en langage administratif, la main sur le cœur.

    A lire aussi l'interview de Lech Kowalski, «ce que j'ai découvert m'a choqué»

    Las, voilà que ce lundi 3 juin, à 6 heures du matin, des véhicules du pétrolier déboulent sur le champ convoité deux ans auparavant. Des gamins qui passent à vélo à proximité pour se rendre à l’école donnent l’alerte. Les villageois de Rogow et de Zurawlow accourent. Ils apprennent que Chevron veut clôturer la parcelle de 2,7 hectares de terre agricole qu’il a louée et y installer générateur électrique, éclairage et baraque de chantier. Tension. Une des protagonistes du film d’Arte, Malgosia, s’interpose devant une voiture. Le chauffeur de Chevron ne ralentit pas, elle est blessée à la jambe.

    Le cinéaste Lech Kowalski est appelé à la rescousse. A peine de retour à Paris (où il habite), après avoir présenté son film au festival de Cracovie, celui-ci saute dans un avion et les rejoint. Depuis, il filme et tweete en direct l’évolution de la situation. Car la mobilisation des paysans ne faiblit pas. Depuis six jours, environ 300 d’entre-eux se relaient pour être toujours présents sur place vingt-quatre heures sur vingt-quatre. «Ils ont monté une grande tente, préparent de la soupe au chou sur une cuisinière de la Seconde Guerre mondiale, ont installé une table sur laquelle trône un vase dont les fleurs des champs sont changées chaque jour», raconte Lech Kowalski, joint vendredi au téléphone par Libération. «Les plus remontées sont les vieilles femmes de 65-70 ans, qui pourchassent les hommes de Chevron avec des bâtons, au point que les autres villageois sont obligés de les calmer pour éviter tout incident», poursuit-il.

    Lech Kowalski avec les villageois.
    (Photo Marcin Latanik. Revoltcinema)


    Face à eux, une trentaine d’ouvriers, une poignée de vigiles habillés de noir et deux cameramen employés par la firme pétrolière. «C’est absurde, nous nous filmons les uns les autres !», rigole Kowalski. «C’est une vraie guerre médiatique.» Les paysans ont réussi à projeter son film sous-titré en polonais, dans le champ, à la belle étoile, avec un groupe électrogène et un vidéoprojecteur. La plupart ne l’avaient pas vu, car aucun média polonais ne souhaite le diffuser. Et les salles de cinéma et centres culturels du coin ont refusé d’organiser des projections. «Par peur de représailles», dit le réalisateur, qui a dû batailler ferme pour que son film soit au programme du festival de Cracovie.

    «Chevron s'acharne» 


    En Pologne, les gaz de schiste sont un sujet tabou. Le gouvernement de Donald Tusk (centre-droit), qui y voit un moyen de s’affranchir des importations de gaz russe, défend bec et ongles leur exploitation. Le pays compte investir 50 milliards de zlotys (12,5 milliards d’euros) dans ces hydrocarbures non conventionnels d’ici à 2020. Mais la manne annoncée voilà quelques années semble faire pschit. Selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA), la Pologne était censée disposer des premières réserves de gaz de schiste d’Europe, avec près de 5 300 milliards de m3, de quoi satisfaire la consommation domestique pendant trois-cents ans. Mais ces premières estimations ont été révisées l’an dernier par les experts polonais à moins de 800 milliards de mètres cubes. Du coup, nombre de compagnies déchantent, qui ne trouvent pas assez de gaz pour justifier d’onéreuses explorations et extractions. Début mai, deux pétroliers nord-américains, Talisman Energy Inc. et Marathon Oil, ont annoncé leur décision de quitter la Pologne, quelques mois après le géant ExxonMobil. 

    «Tout le monde s’en va mais Chevron s’acharne. Pourquoi ? C’est un mystère», s’exclame Kowalski. La porte-parole locale de Chevron, contactée par les villageois, s’est montrée mutique, comme dans le film. Tout juste ont-ils réussi à savoir que la concession «Grabowiec», délivrée le 6 décembre 2007, est valide jusqu’au 6 décembre 2013 pour des tests sismiques uniquement. L’autorisation accordée pour des tests de forages a été annulée en juin 2012. Avec l’énergie du désespoir, faute d’être écouté par Varsovie, l’autoproclamé mouvement «Occupy Chevron» appelle à l’aide au-delà des frontières polonaises. Et espère le soutien actif et même la venue de José Bové ou de l’eurodéputé britannique Vert Keith Taylor, qui s’était lui aussi déplacé en Pologne pour y rencontrer les opposants aux gaz de schiste. 

    Occupy Chevron 


    Dernières nouvelles du «front» : ce samedi, une femme médecin a fait six heures de route depuis Cracovie pour passer le week-end dans la tente des villageois, désormais ornée du drapeau national rouge et blanc. Il fait chaud. La solidarité s’organise, les manifestants ont reçu deux ordinateurs pour se connecter au monde. Le lieu est devenu une attraction locale, le voisinage vient partager les repas. L’ambiance est «bonne mais tendue». Les fermiers ont contacté un conseiller juridique et entendent prouver que Chevron est dans l’illégalité. 

    Ils constatent que les médias français s’intéressent plus à leur lutte que les médias polonais. La police est sur place. Parmi les derniers tweets de Kowalski : «#dontfrackZurawlow Occupy Chevron is not just about fracking, it is about corporations forcing a way of life on citizens. The farmers want the world to know this.» Autrement dit, en VF : «Occupy Chevron va au-delà de la question des gaz de schiste, il s’agit des multinationales imposant un certain mode de vie aux citoyens. Les fermiers veulent que le monde sache cela.» Le suspense continue.

    © Coralie SCHAUB - Libération


     
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